Par Mamadou Sèye
En dénonçant le prix « inacceptable » de l’énergie au Sénégal et en critiquant l’exportation prioritaire du gaz naturel liquéfié, le Premier ministre Ousmane Sonko pose un acte politique majeur. Pour la première fois, un dirigeant sénégalais assume clairement que notre souveraineté énergétique passe par l’industrialisation nationale, et non par la course aux devises.
La scène aurait pu passer inaperçue dans le tumulte des annonces gouvernementales. Et pourtant, c’est un basculement. En affirmant que le Sénégal figure parmi les pays où l’énergie est la plus chère au monde — derrière seulement l’Allemagne et le Japon — et en remettant en question la stratégie d’exportation du GNL, le Premier ministre Ousmane Sonko vient de sonner le glas d’une orthodoxie économique éculée : celle de l’extractivisme tourné vers l’extérieur.
Car oui, pendant trop longtemps, la rente a remplacé la vision. L’objectif était de produire pour vendre, et non pour transformer. D’extraire, liquéfier, exporter — peu importe que l’économie nationale suffoque sous le poids de tarifs énergétiques asphyxiants. La logique était simple : ramener des devises, peu importe si nos PME plient, si nos industries fuient, si l’énergie devient un luxe réservé aux élites.
Mais l’heure du choix a sonné. Et Sonko ne mâche pas ses mots : « Si nous ne corrigeons pas le tir, nos industriels iront produire ailleurs. » L’alerte est claire, sans détour. Il ne s’agit plus seulement de justice sociale, mais de survie économique. Un tissu industriel ne pousse pas dans les déserts tarifaires. Il a besoin d’un terreau : énergie accessible, stabilité, vision.
Ceux qui s’attendaient à un Sonko chantre du nationalisme anti-investisseurs devront réviser leurs caricatures. Car ce que propose ici le chef du gouvernement, c’est une véritable doctrine de développement souverain, fondée sur la valorisation locale des ressources. Non pas fermer les frontières, mais les ouvrir d’abord à nos propres besoins, à notre potentiel.
Reste à savoir si cette ambition se traduira en actes. Car entre les mots et les mégawatts, entre le discours et la réforme, il y a des contrats, des lobbies, des intérêts croisés. Mais pour une fois, le cap est annoncé : notre gaz ne doit plus d’abord éclairer Hambourg ou Tokyo, mais allumer les moteurs de Rufisque, de Thiès, de Sandiara.
Le Sénégal peut choisir d’être un simple robinet mondial ou un acteur du développement maîtrisé. À travers cette déclaration, Sonko choisit la deuxième voie. Il appartient désormais à l’Etat, aux techniciens, aux syndicats, aux industriels et à nous tous, citoyens, de veiller à ce que cette rupture annoncée ne reste pas un mirage.