Le Dialogue ou la République à voix haute

Par Mamadou Sèye

En convoquant les forces vives de la Nation autour d’un dialogue national ce 28 mai, le Président Bassirou Diomaye Faye n’a pas seulement tendu la main. Il a pris le risque de se soumettre à la parole plurielle, celle qui bouscule, interpelle, exige. Ce moment, s’il tient ses promesses, pourrait marquer un tournant dans la culture politique sénégalaise.


Il y a des jours où la République prend la parole, non pas à travers un discours officiel ou un communiqué d’apparat, mais dans le tumulte franc de ses contradictions, dans la diversité parfois bruyante de ses enfants. Ce mardi 28 mai 2025, dans l’enceinte du Centre international de conférences Abdou Diouf, le Sénégal politique, social, citoyen, intellectuel et institutionnel s’est donné rendez-vous. Non pas pour simuler un consensus, mais pour essayer de le construire.

Ce dialogue national, longtemps espéré, souvent galvaudé, s’est ouvert dans un contexte chargé : une alternance encore fraîche, des attentes vertigineuses, un climat de justice et de reddition des comptes qui secoue les certitudes, y compris au sein de l’ancien régime. La justice n’a pas suspendu ses procédures, la politique non plus ses ambitions. Et c’est justement dans ce clair-obscur que ce dialogue puise sa force : c’est un risque. Et un acte de foi.

Le Président de la République, en prenant place dans la salle, n’était pas le seul dépositaire de l’Histoire. Face à lui : des figures de l’opposition, anciennes et nouvelles ; des personnalités civiles et syndicales parfois critiques, souvent engagées ; des partenaires institutionnels, des universitaires, des jeunes leaders. On a entendu des voix discordantes, parfois dures, parfois justes, mais toujours habitées par une volonté de faire entendre leur part de vérité.

Le plus frappant, c’est que ce pluralisme n’a pas tué le dialogue. Il l’a nourri. Les désaccords exprimés n’ont pas désarticulé la rencontre. Bien au contraire. Ils lui ont conféré sa gravité, sa sincérité, sa légitimité.

Certes, certains ont choisi de bouder la rencontre. D’autres, par calcul ou par isolement, ont préféré s’enfermer dans une posture d’indignation solitaire. L’APR, le parti de l’ancien président Macky Sall, a connu un tiraillement interne visible : des ténors ont fait le choix de venir, contre la ligne officielle de boycott. Ceux-là ont compris qu’il valait mieux parler haut que s’enfermer bas.

Le dialogue, ce n’est pas l’adhésion. C’est l’exposition réciproque des désaccords dans un cadre qui oblige à écouter. Il ne s’agit pas de gommer les différends, mais de leur donner un espace institutionnalisé, apaisé, constructif.

Dans un pays où la parole politique est souvent confisquée par les calculs partisans, saturée par les joutes médiatiques ou ralentie par les inerties institutionnelles, il est salutaire que la Nation se regarde en face. Pas dans la célébration, mais dans la discussion.

Et après ? C’est là tout l’enjeu.

Ce moment sera vain si aucune suite concrète n’est donnée. Il sera inutile s’il se résume à une opération de charme politique. Il sera même dangereux s’il sert d’alibi pour retarder des réformes. Mais il deviendra fondateur si les conclusions ne sont pas simplement lues, mais intégrées dans l’agenda politique, traduites en réformes courageuses, et portées par un consensus républicain.

Le Sénégal a plus que jamais besoin d’un nouveau pacte social et démocratique. Il ne se décrète pas. Il se construit. A force d’écoute, de compromis, de lucidité. Ce dialogue national n’en est que l’amorce. A condition qu’il ne soit pas un point d’arrivée, mais un point de départ.

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