La dette et la mémoire courte

Par Mamadou Sèye

Avant-hier, plusieurs journaux ont relayé la baisse des euro-obligations du Sénégal. L’information est exacte. Le phénomène mérite d’être analysé. Mais comme souvent, le fond a été sacrifié à l’effet d’annonce, et le constat, détaché de ses causes, a pris des allures de verdict. Or il ne peut y avoir de compréhension lucide d’un indicateur financier sans mise en contexte sérieuse.

Car ce qui se joue aujourd’hui sur les marchés n’est pas le jugement des autorités actuelles, mais le contrecoup d’une gestion passée, marquée par un endettement frénétique, souvent non productif, et porté par une communication officielle plus soucieuse d’image que de viabilité.

Le Sénégal n’a pas hérité d’un simple stock de dettes. Il a hérité d’un climat de défiance.
Des engagements ont été pris sans transparence.
Des emprunts ont été contractés sans lisibilité.
Et pendant ce temps, le pays encaissait les alertes rouges de plusieurs institutions, sans inflexion notable de sa trajectoire.

Il faut du temps pour réparer une crédibilité financière.
Le crédit souverain se construit sur la cohérence des politiques économiques, la sincérité des chiffres, la stabilité des orientations budgétaires. Et de ce point de vue, les efforts enclenchés depuis mars sont visibles : audits internes, rationalisation annoncée de la dépense publique, début de redéploiement stratégique.

Mais la confiance ne s’improvise pas. Elle se gagne. Et les stigmates d’une gouvernance hasardeuse ne s’effacent pas en quelques mois, surtout quand elle a duré plus d’une décennie.

Ce que les marchés lisent, ce ne sont pas seulement les intentions. Ce sont les passifs. Les habitudes. Les ruptures réelles ou supposées.
Et ce que certains commentateurs évitent de dire, c’est que le prix actuel payé par le Sénégal sur les places financières est le produit d’un cumul de décisions mal assumées, maquillées, ou différées pendant trop longtemps.

Le gouvernement actuel n’est pas à l’origine de la baisse des euro-obligations. Mais il en subit l’inertie.
C’est cela qu’il faut rappeler. Et c’est cela qu’il faut intégrer dans toute lecture sérieuse du moment économique.

À l’heure où l’Etat s’engage dans une réorientation, où les signaux de bonne volonté se multiplient, il serait malhonnête de juger l’équipe en place sur les seules ombres d’un passé qu’elle n’a pas sculpté, mais qu’elle tente, avec méthode et sans fanfare, de dissiper.

Oui, les euro-obligations ont perdu de leur éclat.
Mais peut-être que ce qu’il faut aujourd’hui, ce n’est pas de masquer cette réalité, ni d’en faire un drame, mais de l’assumer avec rigueur tout en saluant le courage de ceux qui, depuis peu, essaient de corriger la trajectoire.

Le moment exige moins de spectacle… et plus de clarté.

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