Par Mamadou Sèye
Depuis quelques semaines, une curieuse créature politique hante les réseaux sociaux et les colonnes des médias comme un esprit en mal d’incarnation. Thierno Bocoum — car c’est de lui qu’il s’agit — s’agite, gesticule, déclame, sermonne et ordonne… à qui veut l’ignorer. Il est passé de l’ombre de la lumière au halo de l’oubli, et c’est peut-être cela qui le rend si nerveusement loquace. Il faut comprendre que chez certains profils, le silence de l’Histoire est vécu comme une agression insupportable. Le mutisme des nouveaux princes qui n’ont daigné ni tendre l’oreille ni offrir un strapontin produit chez l’ancien député de Rewmi une inflation de mots, un trop-plein de postures, un délire de visibilité.
Thierno Bocoum est seul. Il est si seul qu’il a dû annoncer, avec le plus grand sérieux, la mise en pause de son propre mouvement — un mouvement dont il est le président, le secrétaire général, le trésorier, le griot, le penseur et le militant unique. Ce geste, déjà, aurait dû alerter les observateurs les plus indulgents. Qui suspend un mouvement dont on est l’unique occupant ? Comment structurer un désert ? Mais la logique politique n’est visiblement pas l’angle de perception du concerné. Il vit dans un monde où l’agitation remplace la légitimité, où la proclamation se substitue à la base militante, et où l’écho narcissique tient lieu d’audience populaire.
Il y a chez Thierno Bocoum une boulimie de reconnaissance, nourrie par la générosité d’Idrissa Seck qui, dans un élan aussi stratégique que charitable, l’avait catapulté au Parlement, le faisant ainsi goûter à l’ivresse d’un pouvoir dont il ne fut jamais l’artisan. Depuis, l’ancienne promesse s’est transformée en malédiction : ce jeune homme jadis introduit dans les cercles du pouvoir par la bienveillance d’un parrain s’est pris pour une institution, oubliant que son mandat relevait plus d’un calcul que d’une conquête.
Le problème, à ce stade, n’est plus politique ; il est d’ordre psychanalytique. Thierno Bocoum parle. Il parle beaucoup. Il parle trop. Il s’écoute parler et croit que parler suffit à exister. Il en vient à donner des injonctions aux nouvelles autorités, comme s’il en était le tuteur idéologique. Il sermonne les ministres, tance le Président, donne des directives à la République, et regarde l’objectif de la caméra avec la ferveur d’un prophète en transe. Il ne perçoit pas que le pays rit. Il ne saisit pas que le silence qui lui répond n’est pas de la révérence, mais de l’indifférence.
Dans sa tête, il reste l’homme du moment. Il ne voit pas qu’il est devenu le moment de personne. Il ne comprend pas qu’à l’ère du renouveau politique, personne n’attend ses analyses ni ses oracles. Il pense qu’il a une mission, alors qu’il n’a plus d’interlocuteurs. Il croit qu’il harangue une foule, mais il ne parle qu’à lui-même dans un miroir numérique. Le pathétique de la situation ne vient pas seulement de son isolement, mais de sa totale inconscience de cet isolement.
Il y a quelque chose de tragique dans cette errance politique. L’homme aurait pu se taire, se ressaisir, observer, repenser sa place dans le paysage. Il aurait pu prendre de la hauteur, se donner le temps de la réflexion, rebâtir un projet, recréer des liens, retrouver une crédibilité. Mais non. Il a choisi l’immédiateté de la vidéo, la tyrannie du commentaire à chaud, l’illusion du direct et la dictature du buzz. Il s’expose sans relâche, comme s’il avait peur de disparaître dans le silence.
Mais le silence, ici, est une sentence. C’est la sanction de l’inconsistance. Les nouvelles autorités, dont on peut par ailleurs discuter les choix, ont simplement jugé que Thierno Bocoum ne représente rien. Et elles ont eu raison. Il ne représente personne, sauf lui-même. Il ne porte aucun courant, n’anime aucune base, n’influence aucune décision, ne mobilise aucune rue. Il est, au sens propre, un néant politique. Et c’est ce néant qui fait le plus de bruit.
Il ne faut pas s’y tromper : la parole politique a une gravité. Lorsqu’elle est dissociée du poids de l’engagement, de l’ancrage dans le réel, de l’expérience des masses, elle devient une pathologie. Thierno Bocoum est l’exemple achevé de cette dérive : il parle pour exister, sans se rendre compte que plus il parle, plus il s’efface. Le pays n’a pas besoin de faiseurs de vidéos, mais de faiseurs de destin. Il n’a pas besoin d’auto-proclamés guides de conscience, mais d’hommes d’action, d’idées et d’un enracinement réel.
Il est temps de diagnostiquer froidement la situation : Thierno Bocoum n’est pas un opposant ; il est une anomalie. Il n’est pas une voix discordante ; il est un bruit de fond. Il ne gêne pas le pouvoir ; il amuse les réseaux. Il n’interroge pas l’action publique ; il cherche un strapontin. Sa déviation n’est pas idéologique, elle est existentielle. Il s’égare dans les méandres de sa propre vacuité, croyant que le tumulte compensera l’inexistence.
Et pendant ce temps, le pays avance, avec ses luttes, ses défis, ses mutations. La République n’a pas besoin de proclamateurs solitaires mais de bâtisseurs collectifs. Le temps des figures creuses est révolu. Le peuple, dans sa maturité nouvelle, ne se laisse plus berner par les gesticulations sans lendemain. Il veut du sens, du courage, du concret. Ce que manifestement, Thierno Bocoum n’est plus en mesure d’offrir.