Par Mamadou Sèye
Le pays s’approche d’une date que beaucoup perçoivent comme une respiration collective. Le 8 novembre ne sera pas seulement un jour de rassemblement : il sera un miroir. Dans ce miroir, chacun verra son rapport à la justice, à la loyauté, à la vérité. Les places publiques ne sont jamais vides ; elles accueillent les colères, les espérances, les malentendus et les silences. Mais elles disent surtout ce que la Nation veut être d’elle-même.
Le parking du stade Léopold-Sédar-Senghor a déjà une histoire. Le 8 novembre, il deviendra le symbole d’un peuple qui ne veut plus oublier. Ce n’est pas la foule qui compte, c’est la conscience qu’elle incarne.
Depuis plusieurs mois, une figure domine l’imaginaire collectif. Ousmane Sonko, pour une part considérable du pays, n’est plus seulement un dirigeant politique : il est devenu un langage. On parle à travers lui de ce que l’on refuse et de ce que l’on espère. Il a su donner à la critique de l’ordre établi le visage de la dignité, parfois de la douleur, mais toujours du courage. Il est l’architecte d’une sensibilité nationale nouvelle : celle qui lie la justice à la souveraineté morale.
Pourtant, l’enjeu dépasse les personnes. Ce 8 novembre interroge : que fait-on de la promesse d’un Etat réconcilié avec lui-même ? Comment transformer l’émotion en méthode, la ferveur en lucidité ? La politique, au fond, n’est rien d’autre qu’une tension entre l’idéal et le possible. Les peuples qui cessent d’exiger la justice cessent de respirer ; ceux qui la confondent avec la vengeance s’étouffent. Le défi est de rester debout sans devenir aveugle.
Il y a, dans ce moment, quelque chose de rare : un sentiment de veille collective. Les citoyens observent leurs dirigeants, non pour les aduler ou les renverser, mais pour vérifier que la parole donnée n’a pas été vidée de sa substance. Le 8 novembre sera donc un test de fidélité à soi-même. Non pas un plébiscite, mais une introspection nationale.
Les grandes Nations se construisent dans ces instants où la foule et la pensée se croisent. La foule, c’est la mémoire vivante ; la pensée, c’est la boussole. L’une sans l’autre mène au désastre. C’est pourquoi les esprits les plus lucides savent que ce jour-là ne doit pas être seulement un temps de ferveur : il doit être un temps de mesure. Car le peuple qui veut durer doit apprendre à se gouverner par la raison autant que par le cœur.
Le philosophe dirait que nous vivons une dialectique du recommencement : après l’épreuve, la refondation ; après le tumulte, la construction. Le 8 novembre, cette dialectique prendra forme visible. On y verra les cicatrices de l’ancien régime, les promesses du nouveau, et, entre les deux, la question toujours ouverte : comment ne pas trahir le sens de la lutte ?
Ce qui se jouera au parking du stade, c’est moins une démonstration de force qu’un exercice de mémoire. Les peuples n’avancent qu’en se souvenant : souvenirs des injustices, mais aussi souvenirs des espérances. Il faut que la ferveur reste reliée à la rigueur, que l’enthousiasme n’efface pas la vigilance.
En vérité, le 8 novembre sera un examen. Non pas de tel ou tel dirigeant, mais du pays lui-même. La question implicite sera : avons-nous appris de nos douleurs ? Sommes-nous capables de construire une justice qui réconcilie sans affaiblir ?
L’histoire jugera moins les discours que les attitudes. Elle retiendra si le peuple aura su garder son calme, sa dignité, sa confiance dans l’Etat de droit. Elle retiendra aussi si les responsables auront compris que la justice n’est pas une variable d’ajustement, mais la condition même de la paix.
Et lorsque le soleil se couchera sur le parking du stade Léopold-Sédar-Senghor, ce ne seront pas seulement des hommes et des femmes qui rentreront chez eux : ce sera une Nation qui se sera parlé à elle-même.