Par Mamadou Sèye
La chute spectaculaire de Mansour Faye, ancien ministre d’Etat et beau-frère de Macky Sall, dépasse le cadre judiciaire. Elle interroge une époque, dévoile les rouages d’un système et bouscule l’illusion d’une impunité adossée au pouvoir. L’événement, brutal et symbolique, marque un tournant philosophique dans le rapport du Sénégal post-Sall à la justice, à l’autorité et à la vérité politique.
C’est une déflagration silencieuse, mais tellurique. Le placement sous mandat de dépôt de Mansour Faye, ancien ministre d’Etat, maire de Saint-Louis et beau-frère de l’ancien Président Macky Sall, renverse une citadelle jusque-là perçue comme inexpugnable. Ce lundi 26 mai 2025, la justice sénégalaise a balayé l’offre de cautionnement proposée par la défense, refusant d’accorder à l’ancien homme fort du régime le privilège d’un traitement atténué. Le symbole est frontal : le temps des immunités informelles est révolu.
L’affaire en cause ? Une présumée surfacturation de riz destiné aux populations vulnérables pendant la pandémie de Covid-19. Montant en question : 2,749 milliards de francs CFA. Les juges parlent de « manœuvres contractuelles douteuses », de marges injustifiables et de signatures engageant l’Etat dans une logique de prédation sous couvert d’urgence sanitaire. Derrière les chiffres, c’est une philosophie de la gestion publique qui est mise à nu : celle d’une économie du pouvoir où l’accaparement des ressources devient consubstantiel à la fonction.
Mansour Faye n’était pas un ministre quelconque. Il était un pilier. Une figure. Une extension organique de Macky Sall au cœur de l’appareil. D’aucuns disaient de lui qu’il était le plus politique des technocrates et le plus technocrate des affidés. Sa parole était rare mais lourde. Ses décisions, exécutoires. Sa proximité avec l’ancien chef de l’Etat lui offrait une légitimité que ni les urnes ni la rue ne contestaient — jusqu’ici.
Mais les temps ont changé. Le Sénégal post-2024 est habité par une exigence de vérité brute. Ce qui hier relevait de la stratégie est aujourd’hui relu comme duplicité. Ce qui passait pour efficacité devient soupçonnable d’autoritarisme. Dans cette recomposition des symboles, Mansour Faye est le premier d’un cercle restreint à tomber non pas seulement en disgrâce, mais en détention. Et cela fait toute la différence.
La justice a donc tranché. Sans trembler. Le rejet de la caution, dans ce contexte, n’est pas une simple mesure de procédure. C’est une affirmation de souveraineté judiciaire. Une ligne rouge tracée à l’encre du droit. C’est aussi, pour les magistrats, un acte de foi dans la possibilité d’une République débarrassée du soupçon de sélectivité. Une République où les puissants ne dictent plus le tempo judiciaire, mais s’y soumettent.
Mais ne nous y trompons pas : cette affaire est aussi politique. Et c’est là que la philosophie rejoint le droit. Car juger un homme de l’ancien régime, ce n’est jamais seulement le juger lui. C’est interroger les fondations de ce régime, ses routines, ses silences, ses complicités. C’est rouvrir les tiroirs fermés trop vite. C’est convoquer les témoins d’hier pour qu’ils parlent au présent. Et dans cet exercice, la justice sénégalaise joue son crédit autant que son courage.
Il y aura des cris d’orfraie. Il y aura des tribunes indignées. Il y aura des appels au respect de la présomption d’innocence — qu’il faut, d’ailleurs, maintenir avec rigueur. Mais au fond, chacun sait que nous assistons à la fin d’une époque. Une époque où la proximité avec le pouvoir valait amnistie préventive. Une époque où l’éthique publique était subordonnée à la loyauté politique. Cette époque meurt dans une cellule de Rebeuss, au nom de la justice républicaine.
La question n’est plus de savoir si Mansour Faye est coupable ou non. Ce sera à un tribunal impartial de le dire. La vraie question est celle-ci : le Sénégal est-il prêt à regarder en face la façon dont il a été gouverné pendant douze ans ? Est-il prêt à juger l’Histoire, ou se contentera-t-il de juger des hommes ?
En attendant, le beau-frère du président déchu dort en prison. Et cette simple image bouleverse le pays. Car elle signifie que personne ne possède plus l’armure sacrée de l’intouchabilité. Que même les figures tutélaires, les plus introduites, peuvent tomber — et doivent, le cas échéant, répondre.
C’est un moment décisif. Un basculement. Une leçon. Mais c’est aussi, peut-être, le commencement d’un nouveau contrat moral entre le pouvoir et le peuple. Un contrat où la verticalité de l’autorité ne dispense plus de rendre compte. Où l’exercice de la puissance publique ne s’exonère plus d’exemplarité.
Mansour Faye est tombé. Mais ce qui compte désormais, ce n’est pas la chute. C’est ce que nous, collectivement, ferons de cet effondrement.