PETROSEN : Le grand flou d’une societé stratégique

Par Mamadou Sèye

Plus d’un an après la nomination de nouveaux responsables à la tête de Petrosen, la société nationale des hydrocarbures reste enveloppée d’un voile d’opacité inquiétant. Aucun état des lieux structuré, aucune publication d’états financiers consolidés, aucun rapport détaillé sur les activités et projets : un silence étonnant pour une entreprise censée incarner la transparence et la rigueur dans la gestion d’un secteur aussi vital que celui du pétrole et du gaz.

Les Sénégalais, les partenaires institutionnels et les investisseurs étrangers ont le droit de se poser des questions : comment une structure stratégique, pilier de la souveraineté énergétique nationale, peut-elle avancer sans rendre compte de sa trajectoire et de ses performances depuis le renouvellement de son management ? Ce n’est pas seulement une question de bureaucratie : c’est la crédibilité d’une institution nationale, et au-delà, celle du pays, qui est en jeu.

Les informations recueillies par les médias et les rapports d’audit partiels révèlent un climat interne tendu et une gestion financière opaque. Parmi les signaux les plus inquiétants, le départ discret de Manar Sall, ancien directeur général de Petrosen E&P, illustre cette absence de reddition de comptes. Ce départ soudain, sans bilan rendu, sans passation officielle, ni communication publique, laisse planer des interrogations sur la gouvernance et la continuité des projets stratégiques, notamment sur Sangomar et GTA.

Les données disponibles sont encore plus frappantes lorsqu’on parle de chiffres financiers. Selon des extraits du rapport conjoint CECA / Enerteam, que le public n’a pas encore pu consulter intégralement, on observe des écarts considérables : environ 117 milliards de francs CFA entre les fonds reçus et les montants effectivement reportés. Par ailleurs, 45,9 milliards de francs CFA auraient circulé entre la Holding et ses filiales sans traçabilité claire. Enfin, les emprunts contractés auprès de partenaires étrangers – BP, Kosmos et Woodside – atteignent près de 885 millions de dollars, avec des intérêts qui ont augmenté de 45 % entre 2022 et 2023. Ces chiffres sont suffisamment lourds pour justifier un audit public complet et une communication transparente.

Le paradoxe est d’autant plus frappant que le Sénégal est membre de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), qui impose la publication régulière d’informations sur les revenus et flux financiers du secteur. Or, Petrosen n’a pas publié de rapport consolidé depuis plus de douze mois. L’absence de visibilité sur la Holding, sur les filiales, sur les transferts de fonds et sur les engagements financiers crée une zone d’ombre qui met en doute la fiabilité de la gouvernance et la sécurité des investissements.

Le problème n’est pas seulement comptable. Il est aussi stratégique et moral. Petrosen n’est pas une entreprise comme les autres : elle gère une part essentielle du destin économique du Sénégal. Le pétrole et le gaz sont des ressources de souveraineté et des leviers de développement. Les Sénégalais ont le droit de savoir où va l’argent public, comment les projets sont financés, et quelle part des revenus futurs revient effectivement à l’Etat. L’opacité prolongée transforme ces ressources en instruments de suspicion et d’inquiétude.

Le silence actuel est d’autant plus problématique qu’il contraste avec les exigences de transparence annoncées par les nouvelles autorités. La reddition de comptes ne peut plus être optionnelle : elle est devenue un impératif pour restaurer la confiance dans le secteur. Les premières retombées pétrolières arrivent, et elles doivent être accompagnées de gestion rigoureuse, d’audits indépendants et de communication claire. Sans cela, le risque est d’alimenter la défiance et de compromettre les ambitions du Sénégal dans l’arène énergétique internationale.

Il est urgent de dissiper les zones d’ombre. Les Sénégalais ont le droit de connaître la structure réelle de la dette contractée, la répartition des parts entre la Holding, les filiales et les partenaires étrangers, les revenus projetés, et les mécanismes de contrôle interne et externe. Tant que ces éléments resteront flous, la crédibilité de Pétrosen et la confiance des partenaires économiques resteront fragiles.

A ces dérives s’ajoute désormais un climat interne délétère, où les batailles de positionnement prennent le pas sur la mission nationale. Selon plusieurs sources concordantes, une lutte sourde se joue autour du poste de secrétaire général, en prévision de la réorganisation annoncée pour décembre prochain. Ce jeu d’influences, fait d’alliances et de calculs personnels, illustre tristement l’état d’esprit qui prévaut au sommet de l’entreprise, au moment même où la Nation attend des résultats, de la discipline et du patriotisme économique.

Pourtant, les compétences existent à l’intérieur de Petrosen. De nombreux cadres expérimentés, formés aux standards internationaux, ne demandent qu’à être responsabilisés et à servir loyalement le pays. Mais ils sont souvent écartés par des logiques d’appareil et de clientélisme, alors que le secteur pétrolier sénégalais a besoin d’excellence, pas d’intrigues internes.

En réalité, un grand chambardement s’impose. Les autorités ne peuvent plus laisser Petrosen tanguer au gré des ambitions personnelles et des rivalités internes. L’heure est venue de remettre de l’ordre, de restaurer la rigueur et de replacer la compétence au cœur du management. Car c’est de la stabilité et de la transparence de Petrosen que dépend une part essentielle du destin économique du Sénégal.

Les exemples étrangers montrent que la mauvaise gouvernance dans les secteurs pétrolier et gazier peut être catastrophique. Le Sénégal n’a pas le droit de répéter les erreurs d’autres pays pétroliers où les revenus ont nourri la corruption et les inégalités. Il est temps que Petrosen se montre à la hauteur de sa mission : gérer les ressources nationales dans l’intérêt du peuple et non dans l’intérêt de quelques-uns.

C’est pourquoi les responsables de Pétrosen doivent publier leurs états financiers, présenter un plan stratégique clair, expliquer leurs choix et, le cas échéant, assumer leurs erreurs. Les audits doivent être transparents et accessibles, et la communication sur les projets, les transferts et les dettes doit être publique. Le Sénégal mérite de savoir comment son pétrole est géré, combien rapportent les projets et quelles sont les décisions prises par la direction.

Pétrosen n’appartient ni à un clan, ni à une direction, ni à un gouvernement. Elle appartient à la République. Si certains pensent pouvoir se soustraire à la reddition de comptes, ils se trompent lourdement. La presse nationale, responsable et vigilante, a un rôle déterminant pour assurer cette transparence.

C’est pourquoi notre rédaction s’investira pleinement sur le dossier Petrosen. Nous suivrons, analyserons et documenterons chaque évolution afin de rendre l’information accessible à l’opinion publique et d’édifier les citoyens sur la gestion de leurs ressources. Ce n’est pas un luxe, c’est une exigence citoyenne.

Le pétrole du Sénégal n’appartient pas à la direction de Petrosen, ni à ses filiales, ni à ses partenaires. Il appartient aux Sénégalais, et ils ont droit à la vérité – toute la vérité. Les chiffres que nous connaissons aujourd’hui, bien que partiels, suffisent à montrer que l’opacité n’est plus tolérable, et que chaque franc investi mérite d’être rendu visible et justifié.

Le temps de l’ombre est terminé. Petrosen doit parler.


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